Les apprentissages et la triche...
Plusieurs réflexions entendues récemment m'ont fait réfléchir au sujet de la notion de triche, liée aux apprentissages. A l'école, sauf consignes particulières, le travail doit être individuel. Si un enfant n'a pas compris ou rencontre telle ou telle difficulté, il ne pourra pas demander de l'aide à ses camarades tant qu'il ne s'agit pas d'un exercice spécifiquement à faire en groupe. Rechercher de l'aide serait alors de la triche et donc passible de sanction. Et je ne parle pas là de fraude pour réussir un examen sans avoir les réponses, mais tout simplement du quotidien de l'enfant qui apprend, jour après jour, d'une manière imposée et sans cesse sous le coup d'évaluations.
Même dans le cadre très différent de l'instruction en famille, il est possible que les parents soient encore conditionnés par ce qu'ils ont retenu de leur propre scolarisation : regarder les réponses, c'est de la triche. Les demander à un autre, c'est de la triche. Copier quelque chose, c'est moins bien que de créer. Ce n'est pas comme cela qu'on apprend... mais est-ce bien certain ? Heureusement, en instruction en famille, on a également une formidable opportunité de se ré-instruire soi-même et de découvrir d'autres manières d'apprendre.
L'un de mes fils trouve parfaitement justifié d'aller regarder les réponses de certains livres-jeux ou de jeux de réflexion sans a priori passer beaucoup de temps à chercher d'abord par lui-même. Honnêtement, j'ai d'abord tiqué. Est-ce qu'il ne serait pas plus intéressant qu'il réfléchisse d'abord, qu'il tente au moins de trouver la solution ? Est-ce que sa manière de faire lui apportait quoi que ce soit ? Je ne suis pas intervenue parce que je n'avais pas d'attente vis-à-vis de ces supports et qu'il ne me semblait pas si important que cela qu'ils remplissent leur fonction pédagogique. A la place, j'ai observé. Et j'ai remarqué que lorsqu'il applique cette méthode, il ne le fait qu'un temps et finit toujours par poursuivre sans avoir besoin des réponses. Il n'est pas en train de tricher : il est en train d'apprendre à faire. Au lieu de demander de l'aide ou de prendre un support plus facile pour lui, il préfère s'auto-former en regardant les consignes, puis la solution. Une fois qu'il se sent capable de faire seul, il n'utilise plus les réponses que pour vérifier ce qu'il a fait : il a bel et bien appris en regardant les solutions... et j'aurais stoppé net cet apprentissage si je lui avais dit que ce n'était pas comme cela qu'il fallait faire !
De même, lorsque nous jouons à divers jeux de société, de devinettes, etc., nous ne suivons qu'assez rarement les règles. La plupart sont compétitives et il y a très souvent une notion de vitesse : le plus rapide gagne. Cela fonctionne peut-être lorsque les joueurs ont tous des chances équivalentes, mais si des adultes jouent avec des enfants d'âges différents, tous ne seront pas égaux devant une telle règle. Très souvent, donc, au lieu de faire tous en même temps et le plus vite possible, nous jouons chacun notre tour, au rythme qui nous convient, pour que nous puissions tous participer. Nous avons quelques jeux coopératifs, mais pas uniquement. Alors nous avons choisi d'autoriser la "triche" : nous nous soufflons régulièrement les réponses, par exemple. Plus que l'envie de gagner, nous encourageons alors l'entraide et la simple joie de passer un moment agréable ensemble.
J'ai récemment eu l'occasion de lire The right side of normal, de Cindy Gaddis, un livre qui explique comment apprennent les personnes chez qui les caractéristiques liées à l'hémisphère droit du cerveau sont prédominantes. L'auteure a sept enfants, qu'elle n'a jamais scolarisés, et, bien que ne fonctionnant pas du tout comme eux, elle leur a toujours laissé l'opportunité d'être eux-mêmes et de chercher leurs propres modes d'apprentissage, se contentant d'observer et de faire des suggestions. Ce livre est très intéressant même si un peu long et répétitif. Si je le mentionne ici, c'est parce que la notion de triche y est plusieurs fois abordée.
- L'auteure mentionne que l'un de ses enfants a montré très tôt un talent pour le dessin. Il pouvait y consacrer des heures chaque jour et ses débuts étaient particulièrement prometteurs. Un jour, il lui montre une oeuvre très réussie. Elle le félicite et lui demande quelque chose comme "C'est toi qui l'a fait ?", et il lui répond qu'il l'a décalqué. Elle a eu du mal à cacher sa déception et, s'en voulant de cette réaction initiale, elle l'a laissé faire en continuant à lui prodiguer les mêmes encouragements que précédemment. L'enfant a surtout décalqué des dessins pendant toute une année et elle a réussi à taire ses inquiétudes. Et puis, petit à petit, il a délaissé le papier calque et recommencé à créer "seul". Elle s'est alors aperçue de ses progrès en technique : des détails bien plus précis sont apparus dans ses dessins, qui devenaient également plus réalistes notamment pour l'anatomie des animaux représentés. Ce talent qu'elle craignait de voir disparaître s'est en fait enrichi : l'enfant avait moins créé par lui-même pendant un temps, mais il s'était auto-formé pour mieux revenir à sa créativité. Qu'aurait-il fait si son entourage lui avait communiqué plus ou moins explicitement que décalquer était bien moins bien que dessiner, s'il avait été découragé de faire ce que lui voulait, spontanément ? Il est probable que ses dessins seraient moins achevés. Il est même envisageable qu'il se serait détourné du dessin. Combien de talents les adultes ont-ils gâché en n'accordant pas de valeur à ce qui leur semblait de la triche et un manque de créativité ?
- L'une des filles de l'auteure était forte pour écrire de petits textes. Très vite, elle a eu envie de faire des petits livres. Là aussi, sa mère a dû se forcer un peu pour ne pas admirer davantage les textes qui lui étaient vraiment personnels de ceux qui étaient visiblement des copies de ses livres préférés. Sa fille recopiait en effet parfois des textes tels quels ou bien en ne changeant que quelques détails, ce qui les rendait très reconnaissables. En fait, elle utilisait les trames des histoires et les modifiait un tout petit peu, puis un peu plus... Elle apprenait de ses auteurs préférés la manière d'écrire. La copie, complète ou partielle, d'oeuvres existantes l'a occupée longtemps, mais elle gagne aujourd'hui sa vie de sa plume ! Le "plagiat" était un exercice d'écriture. A noter que l'auteure a été un temps tentée de proposer à sa fille des lectures d'un niveau un peu plus élevé que les romans pour fillettes qu'elle continuait à lire alors qu'elle était capable d'aborder des ouvrages plus "complexes". Ses tentatives n'ont pas donné grand-chose, sa fille retournant toujours au même type littéraire, pour la même tranche d'âge. Aujourd'hui, elle écrit des romans qui s'adressent à ce même lectorat ! Elle n'était pas en train de stagner à un niveau inférieur à ses capacités, mais de se former à son métier futur !
- J'ai également retenu de ce livre une autre anecdote liée au sujet de la triche. L'auteure raconte avoir été elle-même choquée par un témoignage de parents non-sco, avant de finalement mettre elle-même en pratique la même méthode. Une mère d'un adolescent lui avait expliqué que celui-ci, jamais scolarisé, avait décidé de se présenter à un examen. Cela nécessitait qu'il se mette à acquérir un programme précis, mais, surtout qu'il maîtrise des exercices scolaires, comme celui de la dissertation. Il n'avait jamais rien fait qui y ressemble, mais il se trouve que c'était là un point fort de sa mère. Elle a donc commencé par faire ses dissertations pour lui. Certes, personne ne venait noter les devoirs et il n'a pas utilisé ces disserts pour réclamer un diplôme, mais cela peut sembler de la triche ou paraître improductif. Il avait besoin d'apprendre à faire une dissertation et c'est sa mère qui lui en faisait ? Celle-ci rédigeait donc les dissertations choisies devant son fils. Elle ne se contentait pas de lui donner le texte, mais expliquait au fur et à mesure pourquoi elle écrivait comme ceci, pourquoi elle organisait son plan comme cela, etc. Lui, prenait note sous la dictée. Et puis, petit à petit, il a commencé à faire des suggestions ou à deviner l'explication que sa mère allait fournir. Il a contribué un tout petit peu à la dissertation, puis de plus en plus, jusqu'à être capable de rédiger seul et de manière très honorable. La méthode n'est pas ordinaire mais, finalement, cette femme a servi de mentor à son fils. Elle lui a enseigné un exercice particulier, non pas par des théories et des grands discours, mais en faisant à sa place puis en le laissant reprendre les rênes au fur et à mesure qu'il s'en sentait prêt. Si l'on peut, au départ, se demander quel intérêt cela peut avoir de faire un travail à la place de l'enfant, cette anecdote permet d'y réfléchir sous un autre angle !
Alors, bien sûr, frauder aux examens reste interdit et le système scolaire ne peut que limiter la coopération tant que tout mène à une évaluation individuelle. En attendant, dans le quotidien de l'instruction et de la vie, "tricher", regarder les réponses, les demander à un autre, les souffler, contourner les règles, prendre un modèle, recopier ce qu'a fait un autre, décalquer, chercher un autre moyen de parvenir au résultat... peuvent en fait constituer des moyens efficaces d'apprendre et de progresser ! Et les adultes ont juste besoin de se détendre, d'observer éventuellement, d'encourager toujours, et d'attendre la suite. Les enfants sont créatifs et débrouillards, et il n'y a jamais une seule manière de faire les choses !