Un atelier artistique très scolaire... ou histoire d'un clash avec notre monde sans école
A. participe à un atelier d'arts plastiques depuis des années. Aussi, quand nous avons trouvé un autre atelier tout près de chez nous, nous avons pensé que ce serait une bonne idée qu'il essaye. Je suis tout à fait ravie du premier atelier, il est juste très loin de chez nous. Nous l'avons donc inscrit à une séance d'essai, sans poser trop de questions ni donner trop de précisions. Nous avons juste mentionné, en passant, qu'il n'était pas scolarisé.
Quand nous sommes allés le chercher, il était flagrand qu'il y avait eu un problème, il n'avait pas l'air heureux. L'animatrice a demandé à me parler avant que je parte et a démarré par : "Vous pouvez l'inscrire si vous voulez, mais, avec l'important retard moteur qu'il a, je pense qu'il vaudrait mieux qu'il ne vienne que 20 minutes (sur un cours de 1h30), ça sera suffisant pour lui."
??? Ah bon, mon fils connaît un important retard moteur ? Je me renseigne sur ce qui s'est passé et elle m'explique qu'elle a distribué des feuilles A3 avec six cases et que les enfants (entre 4 et 6 ans) devaient réaliser une BD : inventer une histoire et la dessiner dans les cases. Puis, elle me montre les réalisations d'un enfant (dessins coloriés) et celle d'A., où l'on voit un bonhomme dans la première case, et, rapidement, uniquement des traits et des formes monochromes.
OK, je lui explique donc que je vois là deux problèmes pour A. Premièrement, il vient seulement de se mettre au dessin figuratif. C'est très récent et ce n'est pas ce qu'il préfère. Pour lui, une activité créative n'est pas vraiment faite pour obtenir un résultat, mais pour profiter de l'expérience, du moment de création. Du coup, le figuratif n'a qu'un intérêt limité. Il préfère toujours jouer avec les couleurs, les formes, les textures, etc. Il s'est mis à faire des bonshommes il y a peu de temps et n'en fait que pour se raconter des histoires, pas pour "créer".
Seulement, l'animatrice, qui ne connait visiblement pas d'enfants libres d'apprendre à leur rythme, considère que les bonshommes sont au programme en maternelle et que ça doit être acquis à son âge ; qu'il est normal de lui demander d'en dessiner pendant 1h30 et anormal que ça ne l'intéresse pas vraiment. D'ailleurs, elle n'a même pas vu le bonhomme dans la première case, tant elle avait décidé qu'il ne savait pas en faire. "J'ai bien essayé de lui apprendre, mais il n'a pas voulu refaire ce que je faisais". Oui, ça, ça ne m'étonne pas ! A. n'a jamais eu à recopier un motif jusqu'à présent ! Résultat ? S'il ne dessine pas une BD avec des bonshommes comme sur le modèle, c'est qu'il a un important retard moteur...
(Summers)
Deuxième problème dans cet atelier, A. n'a jamais reçu de consigne pour créer quelque chose. Nos séances, à la maison, sont soit totalement libres, soit très ouvertes (du type qu'est-ce qu'on pourrait faire en jaune ?), soit, enfin, mais très rarement, avec un objectif en vue, mais toute liberté de dévier ou de l'abandonner en cours de route. Il n'a donc pas trop compris, une fois qu'il a exprimé qu'il en avait assez de sa BD, que ce soit la seule chose qu'il pouvait faire. En effet, il a abandonné le projet après 20 minutes. Or il restait 1h10 d'atelier. Que lui a-t-elle proposé ? Rien. Même pas accès à du papier et des crayons. S'il ne voulait pas se concentrer sur sa BD davantage, alors il n'avait qu'à attendre la fin de la séance ! Vous imaginez comment on peut s'ennuyer pendant 1h10, à attendre que ce soit enfin fini, sans rien à faire ?
J'ai essayé de parler avec elle, de lui faire entrevoir qu'il y avait d'autres manières de fonctionner, mais peine perdue. Elle est convaincue que les enfants n'apprennent rien si on ne les pousse pas par des consignes qu'il faut absolument respecter. Sinon, ce qu'ils font n'est "pas joli" (je suppose qu'il faut comprendre que les résultats ne sont pas assez impressionnants pour montrer aux parents, ni suffisants pour que l'animatrice se sente fière), voire ils ne font rien. Il faut leur "enseigner la créativité". Impossible de lui faire entendre que la créativité se porte très bien sans consignes, que les enfants sont naturellement créatifs. Pour elle, ils sont fainéants et n'apprennent à faire quelque chose de correct que si on les pousse et qu'on les contraint à suivre ses idées à elle.
Bien sûr, A. n'est pas retourné à cet atelier. Nous sommes tellements satisfaits de celui où il va déjà, et où il a une grande liberté pour créer, que, naïvement, nous n'avions pas pensé qu'un autre atelier pourrait être si différent. Pendant les jours qui ont suivi, il ne voulait plus faire grand-chose, il disait qu'il ne saurait pas, qu'il n'allait pas réussir. Heureusement, nous en avons beaucoup parlé et il a dépassé ce passage tristounet où il avait perdu confiance en sa créativité.
Une amie me disait que l'animatrice, qui savait donc qu'il n'allait pas à l'école, a dû y voir le signe d'un handicap, d'une déficience, puisque tant de personnes encore ignorent que l'école, ou son absence, est un choix. C'est possible. La toute première question de l'animatrice pour moi a été : "C'est la première fois qu'il participe à une activité de groupe, n'est-ce pas ? " Réponse : "Ah non, pas du tout, pourquoi ?" Cela l'a déstabilisée un instant, puis elle a attaqué par son histoire de retard moteur important. J'imagine que de le savoir non-sco, cela signifiait pour elle qu'il n'était pas "socialisé", etc.
(Summers)
Ce qui est clair, c'est que je ne laisserai personne faire croire à mon fils qu'il n'est pas créatif parce qu'il ne sait pas et ne veut pas appliquer sans réfléchir des consignes qui l'ennuient... Mais c'est tellement dommage de voir tant d'exemples de cette mentalité selon laquelle l'enfant est paresseux et incompétent, et qu'il faut tout lui enseigner, que cela lui plaise ou non...